Amandine Cornille, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Karine Alix, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Face à l’effondrement de la biodiversité, il y a urgence à puiser dans la diversité génétique naturelle des espèces. Or, pour préserver les arbres fruitiers, les banques de graines ne suffisent pas. Les vergers conservatoires, sortes d’arches de Noé pour arbres fruitiers, peuvent être une solution.
La COP16 sur la biodiversité s’ouvre le 21 octobre prochain. L’occasion de rappeler que la biodiversité compte aussi pour garantir un système alimentaire durable. Or elle est directement menacée par le changement climatique et ses effets collatéraux, tels que l’émergence de parasites. En réduisant la productivité des cultures et en augmentant l’incertitude des récoltes, ces dérèglements mettent en péril la sécurité alimentaire au niveau mondial.
Trouver des solutions pour sauver la viabilité de nos cultures apparaît donc prioritaire. Or, en la matière, les variétés et espèces parentes des plantes cultivées à l’heure actuelle présentent une diversité génétique intéressante pour faire face aux changements globaux. Elles ont en effet fait face, depuis des milliers d’années, à des changements environnementaux majeurs. Certaines espèces sauvages ont ainsi contribué, dans le passé, à l’adaptation des plantes cultivées aux hautes altitudes et aux différentes conditions climatiques.
Si l’on entend s’appuyer sur elles pour assurer la diversification des cultures, il est donc essentiel de caractériser leur diversité et leurs capacités de réponse au changement climatique. Des programmes de conservation et de valorisation de la diversité dans les systèmes de production ont déjà été initiés pour les espèces annuelles, telles que les céréales. Les espèces pérennes comme les arbres fruitiers restent en revanche encore trop en retrait, alors que les activités humaines menacent leurs parents sauvages. Il est grand temps de venir à leur rescousse !
Les limites des grandes banques de graines pour les arbres fruitiers
Face à l’effondrement de la biodiversité, près de 2000 greniers à graines ont été créés à travers le monde. Le plus ancien, pionnier en matière de conservation de la diversité génétique des plantes, a été installé à Saint-Pétersbourg en Russie, il y a plus de 100 ans, à l’Institut Vavilov, du nom du scientifique à l’origine de ces collections. Le célèbre conservatoire du Svalbard, installé en Norvège en 2008, en est un autre exemple.
Ces bunkers sont essentiels pour la préservation de la diversité génétique d’un maximum d’espèces végétales cultivées et de leurs apparentés sauvages. Cependant ils sont quelque part « bloqués » dans le temps, et difficilement exploitables en cas de « pépin » pour certaines espèces de plantes.
En effet, si chez les céréales annuelles, on obtient de nouvelles graines en un an, les arbres fruitiers sont beaucoup plus lents à croître. Les arbres fruitiers peuvent mettre des années avant d’atteindre leur maturité sexuelle et produire fleurs et pollen, ce qui pose un défi majeur.
Les croisements entre parents sauvages et espèces cultivées, nécessaires pour intégrer des caractéristiques favorables comme la résistance aux parasites ou l’adaptation climat, prennent beaucoup de temps. Valoriser le patrimoine génétique des arbres fruitiers pour faire face aux défis immédiats nécessite d’accéder à du matériel génétique d’arbres matures, dont les traits sont déjà connus et éprouvés face à des conditions spécifiques. Ainsi, les « bunkers » de ressources génétiques, qui jouent un rôle crucial dans la préservation de la diversité, ne suffisent pas pour les arbres fruitiers.
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Notre accès à la diversité génétique des arbres fruitiers cultivés et de leurs parents sauvages est donc aujourd’hui limité pour faire face à la rapidité des changements globaux.
Les vergers conservatoires, arches de Noé des fruitiers
Par leur valeur économique et culturelle, les arbres fruitiers ont joué un rôle central dans l’histoire de l’humanité : les échanges génétiques entre fruitiers sauvages et cultivés sont à l’origine de la diversité de forme et de goût de nos fruits. Les parents sauvages de ces fruitiers cultivés ont aussi leur mot à dire : ils ont prouvé leur résilience aux parasites et au changement climatique.
Les vergers conservatoires de fruitiers, ou collections vivantes, constituent un moyen de préserver la diversité génétique, tout en la mettant à disposition en cas de « pépin » pour anticiper les menaces associées aux changements globaux. Contrairement aux banques de graines évoquées plus tôt, ces collections vivantes mettent à disposition de manière immédiate le matériel (pollens et fleurs) nécessaire aux croisements pour les programmes d’amélioration variétale, ainsi que pour la reforestation et la conservation des espèces sauvages en forêt.
Ces vergers conservatoires sont aussi des laboratoires à ciel ouvert pour étudier la réponse des fruitiers au climat et aux attaques de parasites, et les processus évolutifs et écologiques à l’origine de la biodiversité. Ces espaces de diversité génétique, où différents génotypes sont plantés pendant plusieurs années sur une grande surface, participent en outre à limiter l’émergence de parasites par le contrôle de leurs populations, maintenant l’équilibre subtil de la biodiversité et garantissant des agrosystèmes dynamiques. Enfin, ils sont des lieux de vulgarisation et de médiation scientifique pour sensibiliser à la biodiversité fruitière dans les agrosystèmes et écosystèmes.
Parents pauvres de la conservation
En France, les collections vivantes de fruitiers cultivés, abritées à la fois par des instituts de recherche et des associations telles que les Croqueurs de Pommes, représentent un précieux patrimoine génétique. En 2020, 168 400 hectares de vergers ont été recensés ; les vergers de fruitiers sauvages sont quant à eux moins répertoriés et bien plus rares.
Un constat regrettable, sachant que ces espèces parentes sauvages sont directement mises en péril par la fragmentation de leurs habitats et par les échanges de gènes issus des fruitiers cultivés en vergers, alors qu’elles représentent des alliées inestimables pour faire face au changement climatique. Citons toutefois les vergers conservatoires d’oliviers sauvages du centre INRAE de Montpellier, le conservatoire de pruniers sauvages de Lorraine, les vergers d’abricotiers sauvages du centre INRAE de Bordeaux-Aquitaine, ou les divers vergers de pommiers sauvages distribués en France, incluant celui sur le plateau de Saclay.
Ces derniers, installés à l’aide d’instituts de recherche et d’initiatives publiques locales, offrent une opportunité unique d’étudier les conséquences des attaques de parasites et du changement climatique sur les fruitiers cultivés et de leurs parents sauvages. De nombreux autres sont en cours d’installation en Europe, affaire à suivre !
Recenser les fruitiers près de chez soi
Un autre moyen de récolter des informations pour la conservation de la diversité génétique des fruitiers passe par l’implication du grand public via les sciences participatives.
Les particuliers peuvent ainsi directement recenser des données provenant de fruitiers proches de chez eux – dans leur jardin, les parcs publics ou encore les champs aux alentours – pour faire avancer la recherche. Des contributions précieuses qui assurent notamment le suivi de l’évolution des temps de floraison en lien avec le changement climatique.
Cela rejoint les initiatives lancées via Pl@ntNet, une application qui permet d’identifier une espèce végétale à l’aide d’une simple photo, et de Tela_Botanica qui met en relation débutants ou botanistes experts afin d’aider au lancement de projets collaboratifs.
En investissant dans la création de nouveaux vergers et leur maintien, en renforçant la collaboration entre instituts de recherche, associations et organismes de conservation et en mobilisant le grand public, la France peut donc jouer un rôle de premier plan dans la préservation de la biodiversité fruitière à l’échelle nationale et mondiale, et renforcer la résilience des fruitiers face aux pressions environnementales croissantes.
Mathieu Brisson et Amandine Hansart, ingénieurs, Alexandra Detrille, doctorante CEA en mission doctorale, et Mouhammad Noormohamed, ancien étudiant AgroParisTech en stage de Master 1, ont contribué au contenu de cet article. Remerciements : Evelyne Leterme, Henri Fourey, l’association Les Croqueurs de Pommes, et l’ensemble des collaborateurs et participants aux projets ainsi que le grand public.
Amandine Cornille, Research associate professor, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Karine Alix, Génétique évolutive et amélioration des plantes, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.