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Coup de soleil sur une reinette de Caux rouge (domaine de Merval)

Le changement climatique est devenu un sujet « brûlant » dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences pour les êtres vivants. L’impact sur les arbres fruitiers se manifeste déjà avec des pertes importantes de production de fruits et dans le pire des cas la mort d’arbres.

1 – Les changements climatiques

Avec le développement de l’ère industrielle et des transports, les émissions de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles ont engendré un effet de serre, qui lui-même provoque le réchauffement de notre planète.

Le GIEC normand (1) a relevé une augmentation moyenne de la température dans notre région de +1,7°C entre 1970 à 2019

Le réchauffement climatique en Normandie se traduit par une nette augmentation du nombre de jours de forte et très forte chaleur, et a contrario par une réduction du nombre de jours de grand et très grand froid.

A Rouen, entre la période de pré-réchauffement contemporain 1971-1990 et la période actuelle de même durée 2000-2019, les fortes chaleurs ont plus que doublé de fréquence. Pour les très fortes chaleurs, sur les deux mêmes périodes, l’occurrence est passée de 1 fois (en 1990) à 12 fois (dont la moitié des cas durant ces 5 dernières années).

Les experts prédisent que de très fortes disparités régionales apparaîtraient, entre les littoraux, relativement épargnés par cet aléa (notamment le Cotentin, véritable îlot de fraîcheur, mais également les côtes cauchoises). En revanche, les secteurs les plus éloignés de la Manche qui enregistreraient de l’ordre de 60 à 90 jours de chaleur par an à la fin de ce siècle, soit autant que le domaine méditerranéen actuellement.

2 – Les impacts sur le verger

Le changement climatique pose de multiples problèmes pour les arbres fruitiers.

L’élévation des températures fait avancer les dates de floraison pour la plupart des espèces.En trente ans, pommiers et cerisiers ont par exemple ‘gagné’ 8 à 10 jours. Quelle conséquence de cette petite avance ? Malgré le réchauffement climatique, l’avancée de la floraison, à des périodes où les gels nocturnes sont particulièrement fréquents, augmente le risque de dégâts printaniers.

Les épisodes de gel peuvent non seulement limiter la production de l’année par des avortements floraux excessifs mais aussi induire des phénomènes d’alternance pour les années suivantes.

Face au radoucissement, les arbres d’une même espèce n’ont pas tous la même réaction : certains seront en fleurs plus tôt que d’autres. Résultat : ceux ayant besoin d’un congénère fleuri pour se polliniser n’en trouvent pas forcement à proximité, au moment clé de la pollinisation. Dans ce cas, pas de fruit…

Le greffage doit être pratiqué de plus en plus tôt pour tenir compte des montées de sèves avancées. Nous parlons dans ce cas de greffage d’hiver

Les hivers plus doux et humides peuvent entraîner des asphyxies et un manque de vernalisation (besoins en froid non satisfaits) des pommiers et poiriers.

Les étés plus chauds et secs dégradent la qualité des fruits avec des risques de coups de soleil, déformation, manque de coloration, avance de maturité, manque de saveur. Le coup de soleil est un trouble où la peau du fruit devient brune à cause de températures extrêmement élevées. Les fruits exposés au sud et proches de l’apex sont les plus colorés et les plus riches en sucres ainsi qu’en vitamines. Mais aussi les plus impactés par les coups de soleil. En Belgique en 2019, dans certains vergers jusqu’à 50% des pommes Jonagold (variété dominante) étaient marquées par ces érythèmes solaires.

Coups de soleil sur pommes
Coups de soleil sur pommes (Revue Daily Science « Coup de chaud pour les pommes » Laetitia Theunis Belgique)

Un arbre jeune pèche par son petit nombre de branches. Moins touffu que les aînés, il procure moins d’ombre aux fruits. Davantage exposés au soleil, ceux-ci sont plus susceptibles de griller lors des épisodes de canicule. Il en est de même avec les arbres basses tiges. C’est-à-dire atteignant au maximum 2 à 4 mètres de haut. Leur petit volume les rend bien moins protecteur en cas d’ensoleillement excessif que leurs ancêtres à hautes tiges. (4)

La diminution de la concentration d’acide et de la fermeté du fruit a été observée quel que soit l’indice de maturité ; tous ces changements peuvent résulter d’une floraison précoce et de températures plus élevées pendant la période de maturation.

Les sécheresses entraînent des chutes de fruits et une réduction de leur calibre Des modifications physiologiques du végétal sont observées. Un végétal stressé est plus réceptif à certaines maladies fongiques ou ravageurs comme les insectes xylophages.

Drosophila Suzukii ou mouche du cerisier
Drosophila Suzukii ou mouche du cerisier

L’augmentation des températures permet l’allongement des vols de certains ravageurs et la multiplication du nombre de générations, soit jusqu’à 3 pour le carpocapses et 6 pour la drosophile suzukii.

En conditions très sèches, les parcelles irriguées attirent les insectes piqueurs/suceurs comme les pucerons, les cicadelles ou encore les punaises faisant de plus en plus de piqûres sur pommes et poires. Le plus préoccupant est la punaise diabolique (Halyomorpha Halis). Provenant d’Italie, elle est actuellement présente dans toute la moitié sud de la France et la région parisienne.

Des arbres fruitiers qui se croient au printemps et refleurissent à l’automne. Il s’agit de la manifestation la plus visible et la plus spectaculaire des conséquences d’une sécheresse intense en été suivie d’un automne doux.

Curieusement, la couleur des pommes dépend également de la température. Pour obtenir une pomme entièrement rouge, les températures doivent rester fraîches, car si elles grimpent au-dessus d’environ 40 °C dans les 40 jours avant la récolte, la synthèse des pigments est inhibée. Des températures de 25 °C ou moins sont appropriées pour la synthèse des anthocyanes dans les pommes.

3 – Les moyens de lutte

La stratégie présentée pour aborder l’adaptation au changement climatique dans la production fruitière est divisée en trois étapes.

  • L’étape 1 concerne les arbres actuellement cultivés sur lesquels nous appliquons des techniques de production appropriées.
  • L’étape 2 est la replantation avec des cultivars mieux adaptés au réchauffement climatique
  • L’étape 3 est de déplacer les zones de production. (3)

Étape 1 :

Les méthodes pour prévenir les coups de soleil incluent l’utilisation de filets d’ombrage ou de sacs à fruits (pour les amateurs) à haute performance de protection afin de bloquer la lumière directe du soleil, en particulier le soleil de l’ouest.

Lorsque les arbres sont exposés au stress hydrique, les stomates des fruits et des feuilles se ferment, provoquant une inhibition de la transpiration ; la chaleur latente de vaporisation ne peut pas être éliminée, et la température du fruit et des arbres augmente. En conséquence, il est nécessaire d’irriguer le sol pendant les périodes où il y a un risque de coup de soleil sur les fruits en particulier pour les jeunes arbres et les basses tiges. En posant des paillages, nous réduisons le besoin d’arrosage. Pour un arbre isolé, pensez aussi à l’oya, cette poterie enterrée poreuse qui libère l’eau par capillarité de façon continue.

Les dommages causés par le froid sont la principale cause de mort des boutons floraux. L’application d’engrais et de compost à l’automne ou en hiver réduit la tolérance au gel. Déplacer l’application d’engrais au printemps réduit la mortalité des bourgeons. La mise en place d’un moyen de lutte antigel dans les vergers professionnels devient de plus en plus nécessaire.

Pour se protéger des attaques des insectes, de la grêle et de la pluie, on peut poser des filets et des bâches anti-pluie. Des équipements coûteux, mais très efficaces et qui vont devenir essentiels pour les professionnels.

Toutes ces propositions représentent des coûts en équipements et main d’œuvre pour les professionnels qui vont se répercuter sur les prix pour les consommateurs.

Les spécialistes, qui ont évalué le bilan carbone d’un verger sur une vie entière de 20 ans, considèrent que le bilan est positif et peut être évalué à 4 tonnes de carbone stockées par hectare de verger. Mais ce carbone ne doit pas « partir en fumée ». En effet aujourd’hui lors du renouvellement d’un verger, la pratique la plus courante est le brûlage des arbres. Le bénéfice acquis est alors perdu. Des solutions existent comme le déchiquetage du bois et son épandage ou sa valorisation en énergie.


Étape 2 :

Développer un programme de sélection pour un arbre fruitier est une entreprise longue, complexe et coûteuse. À titre d’exemple, un cycle de sélection variétale incluant une évaluation multi-site dure une quinzaine d’années pour le pommier.

L’objectif est d’obtenir des arbres ayant de faibles besoins en froid, de forts besoins en chaud et une bonne résistance au stress hydrique.

De nouvelles variétés adaptées au réchauffement ont été développées par exemple au Japon (3), comme une variété de pomme jaune sans problème de coloration, une variété de poire résistante aux boutons floraux morts, et un variété de pêche avec un faible besoin de froid. Ces nouvelles variétés ont été généralement développées par l’hybridation de variétés locales « goûteuses » avec des variétés non japonaises mieux adaptées au changement climatique.

La France bénéficie d’une diversité de variétés, de territoires de production et d’influences climatiques constituant un gisement de ressources pour la recherche. L’urgence climatique a conduit à autoriser de nouvelles techniques de sélection jusqu’au génie génétique (travail sur les gênes d’une molécule d’ADN).

En complément, un travail de sélection sur les porte greffes pourrait permettre d’obtenir des arbres mieux adaptés pour résister aux déficits hydriques. Citons au passage que le MM106 (moyenne vigueur) et le M111 (forte vigueur) résistent assez bien à la sécheresse.

Prédominants, jadis, dans nos vergers, les arbres hautes tiges ont été massivement remplacés par des fruitiers basses tiges dans les années 70. Et ce, afin d’en faciliter la culture et la récolte par des engins agricoles alors en plein développement. En 2000, les arbres hautes tiges n’étaient présents que dans 1 % de nos vergers.

Verger de pommiers hautes tiges
Un verger de pommiers hautes tiges résiste mieux aux changements climatiques.

S’ils sont moins productifs à l’hectare, les arbres hautes tiges sont bien plus résistants aux aléas climatiques que les basses tiges. De plus, leur porte-greffe robuste, allié à un système racinaire profond, permet de se passer à la fois de tuteur et d’irrigation en assurant à l’arbre un apport naturel en eau même en cas de sécheresse.

L’agroforesterie (comme appliqué au verger de la ferme du lycée de Brémontier-Merval) et le mélange des espèces sont des voies à développer pour augmenter la biodiversité et avoir un maximum de résilience. Bienvenue, donc, au figuier au milieu des pommiers ou aux cerisiers près des framboisiers !


Étape 3 :

Les plages de température moyennes annuelles supposées appropriées pour la production des pommes sont comprises entre 6 et 14 ° C. Les régions favorables à la culture des pommes en France devraient progressivement se déplacer vers le nord ou en altitude. Selon les spécialistes, de nombreuses régions de production vont disparaître d’ici 2060.

Des cartes prédictives définissant des zones de culture adaptées pour divers arbres fruitiers du futur, sont à établir à l’échelle régionale pour informer les habitants. Les vergers de pommiers normands se « replieront » sur les plateaux des zones littorales tandis que des figuiers et des pêchers remplaceront les pommiers à l’intérieur des terres.

Conclusion

L’impact du changement climatique sur les arbres fruitiers est déjà évident au niveau des fruits, mais il touche également la survie des arbres. C’est d’autant plus dramatique que ce sont des sources de stockage de carbone qui pourraient disparaître.

Il existe des mesures d’adaptation à court terme, pour limiter ces impacts dans les vergers professionnels. Elles impliquent en particulier des équipements de protection coûteux (filets, matériel anti-gel , irrigation, …).

A moyen terme, les espoirs se tournent vers la recherche avec le développement de nouvelles variétés plus adaptées. Nos variétés anciennes constituent un gisement intéressant à protéger et à qualifier sur les caractères recherchés. Les arbres hautes tiges pourraient retrouver un intérêt pour faire de l’ombre aux pommes et … à nos vaches.

Les spécialistes nous prédisent que le changement du climat va encore s’accélérer, et à long terme les paysages de nos campagnes vont se transformer. Alors, c’est dès aujourd’hui qu’il nous faut planter les nouvelles espèces d’arbres fruitiers et à bois de demain.

Enfin, n’oublions pas de nous attaquer à la source principale de ces bouleversements : nos émissions de CO2. C’est une responsabilité individuelle et collective d’œuvrer à la réduction de notre empreinte carbone, si nous voulons sauver nos pommiers, et plus largement le monde du vivant.

400 pommiers sauvages plantés / Saclay
Plantation de 400 pommiers sauvages sur le plateau de Saclay

400 pommiers sauvages (malus sylvestris) ont été plantés en décembre 2020 sur le plateau de Saclay (91). Ce site expérimental, qui accueillera des chercheurs de l’Europe entière mais aussi des scolaires, doit aider à mesurer l’impact du changement climatique sur la nature. (5)

https://jardinsdefrance.org/pommier-sauvage-limpact-du-climat-sur-sa-genetique/

Sources :

(1) Changement Climatique & Aléas météorologiques en Normandie-GIEC Normand –Juin 2020
(2) «  Influences de la température sur le comportement des espèces ligneuses tempérées, conséquences face au réchauffement climatique » Jean-Michel Legave, INRA Montpellier
(3) “Three climate change adaptation strategies for fruit production” Toshihiko Sugiura, Institute of Fruit Tree and Tea Science, Japan 10-2019
(4) Revue Daily Science « Coup de chaud pour les pommes » Laetitia Theunis Belgique, 08-2019,
(5) IDEEV Institut Diversité Ecologie et Evolution du Vivant https://www.ideev.universite-paris-saclay.fr/fr/le-verger